Le français dans la géopolitique méditerranéenne

Auteurs

  • Raymond Renard

Résumé

Selon la vision écologique contemporaine des langues (L.-J. Calvet), la langue française, qui ne se circonscrit pas à la France, fait partie de la dizaine de langues « supercentrales » existantes. Elle est, avec l’anglais, la seule langue parlée sur les cinq continents, et dans le cadre du Bassin Méditerranéen, l’arabe et le français sont les deux seules langues locales potentiellement internationales. La tendance hégémonique de l’anglais est toutefois évidente, mais, d’une part, cette langue est souvent réduite à une fonctionnalité limitée et, d’autre part, comme toutes les langues, elle véhicule un ordre de pensée. Il s’ensuit que le véritable enjeu n’est pas celui du français contre l’anglais, mais celui du « plurilinguisme contre l’uniformité ».

Au demeurant, le plurilinguisme s’inscrit dans le cadre du véritable changement de paradigme linguistique qui, en ce début du XXIe siècle, a substitué à la logique de l’unilinguisme, unilatéraliste, propre au colonialisme, celle du plurilinguisme, émancipatrice, multilatéraliste. Fortes de cette option explicite et délibérée, les Institutions internationales (UNESCO, UE, Conseil de l’Europe…) promeuvent la connaissance des langues étrangères, mais soulignent également l’importance de la langue maternelle.

Pour ce qui est du français, la démarche se traduit par une conception renouvelée et du statut de la langue et des fonctions qu’on lui assigne. Le français devient langue en partage et langue médiatrice, pouvant être performatrice de par les valeurs qu’elle véhicule. Ce principe s’avère en effet d’autant plus porteur qu’ainsi conçue, la langue française, non certes de par sa nature mais par son histoire, véhicule des valeurs éthiques (qui souvent, comme en témoigne la création lexicale, ont d’abord été désignées et définies en français) et a des moyens d’expression répondant aux besoins de la res publica. Le libellé de la Constitution française est explicite à cet égard – Le français est la langue de la République (non d’un territoire ou de l’État) –, et fait ainsi « référence à un type précis de rapport » (Klinkenberg) entre langue et conception de société.

Dans cette perspective, l’institution de la Francophonie devient un atout majeur pour la langue française (Renard, 2011). Le français constitue, en effet, un lien de communication entre les pays adhérents, mais la langue française s’avère également, et d’abord, un outil efficient pour le développement de la pensée critique, et pour la défense des libertés et des valeurs humanistes. La Francophonie constitue, dès lors, « un témoignage de solidarité face à la logique coloniale […] et dès sa naissance, une idée subversive » (Boutros Boutros-Ghali). Elle porte un projet culturel fondé sur les valeurs universelles d’un humanisme respectueux des droits de la personne et des groupes sociaux. Ce projet draine l’espoir que la diffusion du français favorisera le développement, l’épanouissement des peuples qui l’adoptent.

Mots-clés

plurilinguisme, changement de paradigme linguistique, le français langue médiatrice, Francophonie

Références

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Publiée

22-12-2021

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